Opinion: la recherche scientifique et la réforme des universités guinéennes (Pr Moustapha Keïta-Diop)

« La recherche scientifique est au cœur des innovations technique, technologique, du développement économique et social ».

La recherche scientifique reste le parent pauvre des universités guinéennes, même si certains instituts d’enseignement supérieur et de la recherche scientifique avancent plus ou moins bien que d’autres. Les universitaires guinéens (sauf quelques chercheurs rattachés à d’autres laboratoires à l’étranger) n’ont pas les moyens de chercher ni de publier. Pourtant le développement de notre pays ne peut se faire sans la recherche scientifique et dans tous les domaines.

 

Il n’est pas inutile de rappeler que la recherche scientifique a un rôle déterminant à jouer dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques de développement. Dans cette perspective, il est indispensable qu’une bonne gouvernance universitaire s’impose en Guinée en dépassant la couverture sur soi et la politisation du temple de la connaissance.

La dépolitisation des universités guinéennes

 

Les universités guinéennes sont progressivement devenues de nos jours de bastions des partis politiques amenant les enseignants-chercheurs à se positionner en fonction du climat politique du moment, considéré ou imposé comme le seul gage d’une bonne promotion ou d’un bon déroulement de carrière, alors que les étudiants viennent de partout sur le territoire national, voire de l’étranger, avec des sensibilités politiques et idéologiques différentes.

Dans ce contexte, la recherche scientifique devient un prétexte et non une finalité au service du développement, tant les conditions sociales des enseignants-chercheurs sont aussi misérables que déplorables : c’est la course à la survie sans réelle motivation ni investissement personnel dans le travail effectif de la recherche scientifique, de la formation ou du service rendu à la communauté. Cette course individuelle, sans organisation ni solidarité de corps, fragilise les enseignants chercheurs qui errent ou végètent isolés dans la misère. Au lieu de se concentrer sur leurs missions de service public, ils sont obligés de courir de gauche à droit pour pouvoir joindre les deux bouts.

 

Le rapport de force et la compétition ne visent principalement qu’à se positionner pour mieux capter les ressources allouées. Dans un tel milieu scientifique, il faut compter avec les mentalités, les habitudes et le mode d’organisation de la recherche où l’on retrouve les forces d’inertie à l’œuvre et de compétitions stériles entre collègues affamés ou désemparés. Il faut nécessairement une dépolitisation de l’organisation et de la production scientifique, car la science exige le bannissement de tout ce qui relève de l’opinion, de l’idéologie et de la politique politicienne. Dans ce processus observé, il est évident « de ne pas confondre recherche scientifique et soumission à l’autorité » (Jean-Marc Ela, Recherche scientifique et crise de rationalité, livre 1, l’harmattan, 2007, p.159). Dans notre pays, l’intelligence, la connaissance scientifique semblent être méprisées alors que la société ne peut se développer que sur la base de la connaissance technique et scientifique. Il est donc nécessaire de dépolitiser les universités guinéennes pour libérer les énergies créatrices sur la base du mérité, du respect des compétences, de grades, de corporation organisée au service du développement de notre pays. D’où la nécessité d’une bonne gouvernance universitaire.

 

De la nécessité d’une bonne gouvernance universitaire

 

La gouvernance actuelle de nos universités n’est nullement à la hauteur des besoins actuels de modernisation de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. C’est dire que notre pays compte beaucoup sur ce pilier pour assurer son développement économique et social en s’appuyant sur des ressources humaines de qualité et une administration publique d’impulsion et non d’accaparement des ressources allouées. Faut-il rappeler que l’État alloue quelques ressources non négligeables pour le fonctionnement des universités et octroie des bourses d’étude. Mais ces ressources sont détournées de leur destination et beaucoup d’enseignants chercheurs ne bénéficient des moyens permettant d’assumer leurs fonctions. La gestion des ressources allouées n’est pas transparente et les Conseils d’Administration ne sont pas mis en place dans tous les instituts d’enseignement supérieur. Les universités ne peuvent se contenter des subventions de l’État, car elles peuvent et doivent mobiliser d’autres ressources complémentaires à travers la création des laboratoires de recherche, le développement de la coopération régionale et internationale sur la base du principe d’autonomie accordé par la loi.

 

La recherche scientifique, très minimisée en Guinée, est pourtant incontournable pour le développement d’un pays. Une étude réalisée sous la direction du Professeur Mamadou Pathé Diallo sur « l’état des lieux de la recherche sur Covid-19 en Guinée » (MESRS 2020), montre bien que la recherche permet- entre autre- d’orienter vers les stratégies les plus efficaces et les plus efficientes pour le développement en favorisant la compréhension des enjeux locaux et internationaux, en facilitant l’analyse des jeux d’acteurs à différentes échelles, de la réponse institutionnelle à l’épidémie en fournissant aux décideurs des éléments pertinents de prise de décision. Sans vouloir se répéter et pour insister, nos universités ont besoin aujourd’hui, de manière incontournable, d’une administration d’impulsion que de contrôle des ressources pour le développement de la formation et de la recherche scientifique au profit de nos jeunes étudiantes et étudiants. C’est le prix à payer pour assurer la relève et garantir l’avenir de notre pays.

Quelques perspectives

Toutes ces raisons évoquées justifient et motivent la mise en place d’une bonne gouvernance universitaire permettant d’impulser une politique de formation et de recherche imminente et conséquente en faveur des formateurs de nos établissements d’enseignement supérieur et de la recherche scientifique au profit des étudiants. Pour moi, il faut réagir rapidement pour sauver nos universités décadentes et d’une autre époque par manque de vision, d’ambition et d’ouverture sur le monde. Pourtant les textes exigent mais ne sont pas mis en œuvre. Des efforts ont été déployés, mais ll faut aller encore plus loin. D’où la nécessité de :

– renforcer la capacité des ressources humaines par le biais du partenariat et de la coopération interuniversitaire : soutien matériel, financier, institutionnel pour la formation et la recherche scientifique ;

-mettre en place des centres, laboratoires et équipes de recherche opérationnels et connectés à l’Internet à haut débit pour assurer les formations à distance ou des cours en ligne ; des bibliothèques spécialisées et innovantes avec un abonnement à des revues spécialisées dans les disciplines fondamentales ;

-améliorer les infrastructures universitaires en construisant des locaux appropriés pour accueillir tous les étudiants, des salles de conférence, des laboratoires de recherche, des restaurants universitaires, des logements pour les étudiants et des chercheurs de passage ;

-rapprocher l’université du monde professionnel en harmonisant nos programmes de formation aux réalités de marché du travail ouvert sur le plan national, sous régional et international ;

-instituer des Conseil d’Administration dans nos universités pour une gestion transparente des ressources allouées en favorisant la mobilisation des ressources complémentaires pour assurer un bon fonctionnement de notre mission d’enseignement et de recherche scientifique.

– respecter strictement l’exercice des fonctions pédagogiques et administratives en tenant compte des grades correspondants, de l’ancienneté requise, des expériences et des qualifications exigées.

-inciter les enseignants-chercheurs à s’organiser en corporation pour se respecter et se faire respecter dans un corps organisé et solidaire : l’union fait la force.

Pr Moustapha Keïta-Diop

Université GLC de Sonfonia

Chercheur associé au CERFIG

moustaphadiop@uglcs.orgTél. +224 628 566675.

BIOGRAPHIE

Actuellement 1eVice-Président du Conseil Scientifique de Riposte Contre Covid-19 en Guinée (avril 2020), Doyen de la Faculté des Sciences Sociales-Université GLC de Sonfonia-Conakry- Directeur du Master Acteurs Sociaux et Développement Local (MASDEL) au sein de la même Université de Sonfonia. Fondateur du Laboratoire d’Analyse Socio-anthropologique de Guinée (LASAG) à l’UGLC de Sonfonia avec l’appui de l’Unicef-Guinée.

Dr en socio-anthropologie du développement, juriste de formation de base, Pr Moustapha Keïta-Diop a soutenu sa thèse de doctorat sur les problèmes fonciers et développement local en Guinée sous la double direction des professeurs Etienne Le Roy (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et de Pierre Philippe Rey (Université Paris VIII Vincennes). Ses travaux sont principalement axés sur la question foncière mais qui s’orientent de plus en plus aujourd’hui sur la problématique de santé publique en Guinée. Il a enseigné (depuis 2008) les problèmes fonciers et développement local à l’Institut d’Étude du Développement Économique et Social de l’Université Paris Panthéon-Sorbonne et a dirigé le Master Développement Local, avant de rejoindre l’Université GLC de Sonfonia-Conakry.

Depuis 2014, Pr Keîta-Diop s’intéresse aux épidémies émergentes-hier Ebola et aujourd’hui SARS-COV2- dans une perspective socio-anthropologique en étroite collaboration avec les épidémiologistes et virologues du CERFIG.

PROGRAMMES DE RECHERCHE EN COURS

PROGRAMME ARIACOV

Analyse des politiques publiques, des pratiques des acteurs et des représentations populaires relatives au Covid-19 pour une meilleure réponse guinéenne à la pandémie : «Sociabilité et Distanciation sociale».

PROJET ENABEL

Analyse situationnelle de la pandémie du Corona Virus (COVID-19) en Guinée : constructions sociales du risque et conditions concrètes de la gestion du risque à l’Hôpital National Ignace Deen de Conakry.

PROGRAMME POSTEBOGUI:

Revivre après Ébola, évaluation et accompagnement des patients déclarés guéris d’une infection par le virus Ébola en Guinée. Coordination du volet socio-anthropologique. Recueil et analyse des données sur les personnes guéries et prise en compte de la dimension sociale de l’épidémie en collaboration avec Dr Bernard Taverne et Pr Alice Desclaux.

Collaboration avec Unicef-Guinée :plusieurs études sociales et culturelles réalisées dans le cadre de la riposte contre les maladies infectieuses en Guinée, de la maladie à virus Ébola au coronavirus : communication, sensibilisation, adhésion et mobilisation sociales.

Expert et spécialiste de la question foncière: plusieurs études foncières réalisées depuis plus d’une vingtaine d’années en Guinée, appui aux organisations professionnelles, aux ONG et préparation pour l’organisation des états généraux sur le foncier en Guinée.

QUELQUES PUBLICATIONS

Anthropologie sociale et santé publique

  • « Les sciences sociales dans la riposte contre Covid-19 en Guinée », Actuguinee.org, 6 avril 2020, 4 p.
  • Mandy Kader Koné, Lorenzo Subissi, Milles Caroll, Moustapha Keïta-Diop, Marie Yvonne Curtis, BMJ GLOBAL, «Sex ptatices and awerness survivors and their partners in Guinea », Dawloaded From http :gh.bmi.com/On October 1, 2017, published by group.bmi.com-10 p.
  • « La violence ethnique de l’Etat Postcolonial. Le cas de la Guinée » in L’Etat : concepts et politiques, sous la direction de Sonia Dayan-Herzbrun, Numa Murard et Etienne Tassin, TUMULTES, Editions Kimé, n° 44, mai 2015, pp ; 102-115.
  • Alice Desclaux, Moustapha Diop et Stéphane Doyon, «Peur et confiinement. Perceptions du suivi des contacts et impact social au Sénégal et en Guinée» in Michiel Hoffman et Sokhieng Au La politique de la peur. Médecins sans frontières et l’épidémie d’Ebola, Renaissance du Livre, chapitre 9, 2016, pp.277-306.
  • « Les anthropologues au four et au moulin de l’interdisciplinarité et de la problématique du développement en Afrique » in Médiations interdisciplinaires, variations africanistes, sous la direction de Sylvie Capitant et Mathieu Hilgers, Anthropologie et Sociétés, mai 2013, pp. 59-74.
  • Femmes et Terres en République de Guinée, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, Panafrika-Silex/Nouvelle du sud, 2017, 441 p.
  • Réformes foncières et gestion des ressources naturelles en Guinée. Enjeux de patrimonialité et de propriété dans le Timbi au Fouta Djalon, Karthala, 2007, 442 p.
  • Dominique Bangoura, Tété Mady Bangoura, Mohamed Moustapha Diop, Quelle transition politique pour la Guinée ?Paris, L’Harmattan, Collection Études Africaines, 422 p

Avec mosaïqueguinee.com

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