Interview: le cri de cœur du DG de la Maison de la Presse

A la faveur de la Journée mondiale de la liberté de la presse célébrée chaque année le 3 mai, notre rédaction a rencontré le Directeur Général de la Maison de la Presse de Guinée, Hassane Kaba. C’était pendant que le siège de l’institution qu’il dirige depuis quatre ans déménageait de Coléah à Kipé. En réalité, il s’agit d’une location à location.  Ce fut l’occasion pour notre interlocuteur de lancer un cri de cœur à l’endroit particulièrement des autorités guinéennes pour la mise à disposition rapide d’un siège. Lisez !

RIG : Bonjour Monsieur, présentez-vous à nos lecteurs s’il vous plaît

Hassane Kaba : Je suis Hassane Kaba,  journaliste, Directeur Général de la Maison de la Presse de Guinée (MDP) depuis 4 ans.

2- La  Maison De la Presse a changé de local (de Coléah à Kipé), dites-nous qu’est-ce qui a motivé ce changement, surtout que c’est de location à location ?

C‘est  très simple,  c’est que de 2010 à 2019, le prix de la location est  passé de 5 millions à 20 millions de francs guinéens à Coléah. Au début, la Maison de la presse recevait une subvention de l’Union Européenne (UE). Et bien avant  cette subvention de l’UE,  il y avait l’ambassade de France qui l’assistait financièrement. Donc, à ces moments-là, il n’y avait pas un gros problème pour faire face aux charges, en ce qui concerne surtout les charges locatives. Depuis quelque temps,  hélas, nos principaux bailleurs de fonds se sont retirés, estimant certainement qu’il revenait finalement aux guinéens de prendre en charge leur Maison de la presse. Il se trouve que  les recettes que nous faisons au niveau de la Maison de la presse pour ce qu’il est de ses prestations, surtout  celles émanant de la salle de conférence, malheureusement ne pouvaient plus supporter ce coût locatif de 20 millions par mois, sans compter les autres charges  dont celles liées à la rémunération du personnel, l’entretien des locaux, le payement de certains prestataires, la prise en charge du groupe électrogène. Grosso modo, pour toutes recettes mensuelles combinées de l’ordre de 15 à 20 millions de francs guinéens, on s’est retrouvé dans une situation où il fallait débourser mensuellement entre 40 à 45 millions de francs. Je crois que dans ces conditions, nous n’avions  pas le choix. Faute d’avoir obtenu de nouvelles aides, nous avons été obligés de nous replier sur la haute banlieue de Conakry. Il faut dire que la subvention annuelle qui nous a été allouée par l’Etat a servi principalement à honorer les dettes et financer le coût de déménagement. Je dirai donc que ce n’est pas de gaieté de cœur mais nous n’avions pas le choix.

 

3-Pourquoi selon-vous,  jusqu’à présent la Guinée n’arrive pas à se doter de sa propre Maison de la presse, à l’instar des autres pays voisins tels le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire ?

A ce niveau, très malheureusement, nos appels incessants ne sont pas encore tombés dans des oreilles attentives, surtout au niveau des autorités compétentes. La Directrice Générale  qui nous a précédé au poste avait certes mené des démarches en direction des autorités. Je ne dirai pas qu’il y a eu une promesse ferme à son endroit mais l’espoir était tout de même permis.  Lorsque nous avons pris fonction au début du mois de mai 2015, nous avons continué dans la même dynamique. Il y a d’abord eu des rencontres plus ou moins informelles, cependant la plus attendue a été celle du 3 mai 2018.  Nous avons tout mis en œuvre pour que le Président de la République, le Pr Alpha Condé, vienne célébrer la Journée mondiale de la liberté de la presse avec toute la grande famille de la presse guinéenne à la Maison de la presse de Coléah. C’est à cette occasion-là qu’une demande solennelle a été adressée au Chef de l’Etat par le Président de notre Conseil d’Administration afin que les journalistes guinéens obtiennent enfin leur  Maison de la presse. Très malheureusement, ce fut un rendez-vous  manqué. La seule chose que nous avons pu obtenir du Pr Alpha Condé  lorsque nous visitions les lieux avec lui, c’était celle de faire organiser une journée de la presse à l’issue de laquelle il y aurait une prise en charge globale des préoccupations des médias guinéens, éventuellement la construction d’un siège pour la Maison de  la presse de Guinée . Au-delà de cette rencontre, il y a naturellement eu plusieurs autres notamment avec le ministre de l’Information et de la Communication ainsi que le Premier ministre, Dr. Ibrahima Kassory Fofana.  Je dois préciser à ce niveau que certains responsables d’associations professionnelles des médias guinéens se sont particulièrement illustrés à ce niveau. Des appels ont été lancés à toutes ces autorités en vue de les amener à donner une suite favorable à cette requête devenue de plus en plus pressante. La dernière tentative en date a été celle qui a été menée le 3 mai dernier lors de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse. C’était à l’occasion de l’inauguration symbolique de la nouvelle Maison de la presse à Kipé. Le Président du Conseil d’Administration a encore réitéré notre demande de construction d’une Maison de la presse au Chef de l’Etat par le canal du ministre de l’information et de la Communication. Nous espérons que quelque chose va se passer cette fois-ci. A défaut,  je crains fort  qu’il y ait des lendemains encore plus incertains pour la Maison de la presse de Guinée. Hier, notre siège était à Coléah, aujourd’hui  nous sommes à Kipé, demain il se pourrait que nous soyons à Kagbélén ou à Dubreka. Il faut reconnaitre que  ce sont les charges locatives qui posent le plus gros problème à la MDP.  Il est vraiment crucial d’obtenir une Maison de la presse digne de ce nom.

 

4-Avez-vous eu une promesse de la part de l’Etat dans ce sens ? Si oui comment et quand la réalisation de ce futur édifice qui appartiendrait définitivement à la presse ?

Il n’ya  pas eu de promesse ferme à ce niveau. Le Président de la République, en ce qui le concerne, a demandé  à ce qu’une Journée de la presse soit organisée. D’autres ont parlé d’états généraux des médias. On espère qu’à ces occasions, au-delà même de la question de la Maison de la presse, tous les autres  problèmes cruciaux qui touchent l’avenir des médias ou à la situation des médias pourraient être analysés en vue de trouver des solutions idoines.  Il s’agit donc de renforcer le plaidoyer.

Lorsque nous avons pris la relève le 1er mai 2015, nous nous sommes fixé comme objectif  principal  l’obtention d’un terrain pour la construction de la Maison de la presse de Guinée. Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé  ou de s’être battu dans ce sens. Toutes les autorités qui devaient être touchées l’ont été à ce jour. Sauf  que nous n’avons pas pu encore obtenir notre siège. Autant en déduire hélas que nos appels ne sont pas tombés dans des oreilles assez attentives alors que  dans tous les pays de la sous –région les journalistes ont depuis longtemps leur Maison de la presse. L’exemple le plus éloquent,  c’est celui du Sénégal où vous avez une Maison de la presse qui fait pâlir d’envie les journalistes presque du monde entier. Pour vous répondre franchement,  bien malin qui pourra vous dire dans quel intervalle nous journalistes guinéens obtiendrons un siège pour notre Maison de la presse.

5- Dites-nous les difficultés auxquelles la MDP est confrontée aujourd’hui

Les difficultés sont principalement d’ordre financier.  Il y a un déséquilibre total entre les recettes, les prestations fournies par la Maison de la presse et ce que nous dépensons. Lorsque nous étions à Coléah, nous avions une moyenne de recettes mensuelles comprise entre 15 et 20 millions ; et à côté  il y avait des dépenses allant de 40 à 45 millions de francs guinéens par mois. Donc, faute de subvention et d’appui conséquent, il était non seulement très difficile pour nous de demeurer dans nos anciens locaux, mais aussi de garder le cap.

6- Semble-t-il qu’il y a des bailleurs de fonds décidés à vous accompagner ? Si oui sont-ils nombreux à telle enseigne que vous serez auto-suffisants ?

Pas du tout, ils ne sont pas nombreux.  C’est l’occasion de remercier d’ailleurs les Ambassades de France, des Etats-Unis et la Représentation de l’Union Européenne qui ont tenu à accompagner la Maison de la presse à ses débuts en 2010. Mais il faut reconnaitre que la situation est devenue très compliquée depuis.  Le PNUD nous a certes tendu la main parce que nous avons lancé un appel pressant pour nous permettre de continuer à exister. L’institution onusienne nous a assistés à hauteur de 20 000 dollars pour l’acquisition d’équipements. La remise de ces équipements  a eu lieu le 3 mai dernier. Sans minimiser cela,  il faut dire que ce qui reste à faire est beaucoup. On ne peut dire que nous sommes en passe d’être autosuffisants. Le PNUD nous a aidés matériellement, le représentant nous a même dit que son institution envisageait d’aider les médias guinéens  et la démocratie guinéenne. La Maison de la presse est  dans une urgence et en réalité on ne peut plus attendre. Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls en matière de processus démocratique en Guinée. Le PNUD, en accordant cette aide de 20 000 dollars de matériels, en disant qu’il va aider la Guinée, cela s’entend dans un domaine plus élargi. De nouvelles aides seraient les bienvenues pour la Maison de la presse parce que pour le moment cette aide spécifique ne suffit très malheureusement pas. Nous n’avons aucune promesse d’un autre bailleur de fonds.

 

7- Quel est votre mot de la fin ?

C’est un SOS que je veux lancer, parce que je suis sûr que si nous avons un siège digne de ce nom, convenablement équipé, je crois que comme dans les autres pays,  la Maison de la presse va fonctionner sans beaucoup de difficultés. Nous pourrions nous atteler alors à autre chose que de se préoccuper de charges locatives ou extra qui ne n’honorent pas forcement notre pays. Toutefois, l’appel urgent que je vais lancer, ce sera en direction de l’Etat guinéen. Qu’il accepte de répondre favorablement à notre cri de coeur sans délai, en acceptant de construire un siège digne de ce nom. Il y va de la crédibilité de la liberté de la presse et de la démocratie guinéenne.

                                                    Propos recueillis par A. Hawa Diallo

 

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